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Littératie, compétences lexicales et vocabulaire

Photo de l'exposition «Wort. Kabinettstücke einer sprachlichen Einheit»
Forum Schlossplatz Aarau, du 4.11.2011 au 29.1.2012         Photo: Alex Frei

Contribution thématique de la rédaction | Numéro 1/2012
par Martine Wirthner

Il apparaît de manière évidente que pour agir avec la langue, il faut disposer de mots, connaitre leur signification, leur emploi et leurs diverses nuances. C'est pourquoi, le vocabulaire a toujours tenu une place importante à l'école. Qu'entendre par vocabulaire? Dans le cadre du projet d’élaboration des compétences fondamentales de HarmoS, la définition suivante a été formulée: "avec le terme «vocabulaire», on renvoie d’habitude à la quantité et au type de mots dont dispose un individu, de manière active ou passive, et à la manière dont il les connecte entre eux. Le vocabulaire peut ainsi être compris comme une liste (ordonnée) ou comme un réservoir, ce qui, logiquement, ne peut pas être décrit comme une compétence. La nature du vocabulaire, sa richesse, sa subtilité et sa structuration ainsi que la manière dont un individu l’emploie font partie de la compétence décrite dans les domaines écouter, lire (vocabulaire passif ou réceptif), parler et écrire (vocabulaire actif ou productif)" (2010).

Ainsi, dans le cadre d'un modèle de compétence langagier pour l'école, le vocabulaire ne peut être considéré seulement pour lui-même mais en relation avec la compréhension et la production langagière. Dans ce sens, il nous parait particulièrement pertinent de consacrer un numéro thématique de notre site au vocabulaire et aux compétences lexicales en lien avec la littératie.

Grosso modo, dans le cadre scolaire et au vu de l’histoire de la discipline langue première, on peut distinguer deux approches du vocabulaire : l’une préconisant une exploration systématique du mot isolé ou en contexte, impliquant l’utilisation du dictionnaire, l’autre préconisant une intégration de la réflexion sur le mot aux pratiques de lecture et d’écriture. Dans le premier cas, relevant de pratiques traditionnelles et d’une conception représentationnelle de la langue, la visée principale est l’enrichissement du répertoire de l’élève de mots toujours plus difficiles, le plus souvent selon une organisation des activités didactiques de type thématique permettant une forme de structuration de la langue sur la base des objets du monde. A l’aide de ce répertoire, l’élève devient ensuite capable de donner sens aux textes qu’il lit et écrit. A cette visée s’ajoute une autre, celle de la connaissance orthographique des mots.

Le fait de tisser des liens entre vocabulaire et lecture-écriture est plus particulièrement apparu, en ce qui concerne la Suisse romande en tout cas, au moment de la rénovation de l'enseignement du français dans les années 1970. La langue vue comme essentiellement outil de communication a conduit à donner une place centrale à l'activité langagière dans cet enseignement, et la question du rôle des activités de structuration de la langue a été posée; un renversement s’est opéré et les activités de structuration, dont le vocabulaire, ont été voulues avant tout au service des discours et des textes. Dans ce sens, elles sont réalisées en lien, voire à l'intérieur des activités langagières ou de l'étude des textes ou des discours. L’accès au sens des mots n’est alors pas seulement affaire de leur mise en correspondance avec le réel et les objets du monde, mais se construit par la prise de conscience réfléchie du système lexical, par manipulations des unités de la langue au sein des énoncés étudiés. L’énonciation et l’organisation même du texte fournissent des éléments d’aide à sa compréhension, compréhension lexicale comprise. La prise en compte des indices d’énonciation du texte et de la portée communicative des textes implique une ouverture à la diversité textuelle.

Sous l’influence de la linguistique, une distinction entre vocabulaire et lexique a été réalisée: "Les objectifs théoriques de la rénovation de l'enseignement du vocabulaire ont consisté à montrer aux élèves que les mots de la langue ne sont pas de simples listes alphabétiques permettant de parler du monde qui nous entoure, mais qu'ils forment un ensemble organisé par différentes relations d'ordre sémantique et morphosyntaxique plus ou moins systématiques appelé lexique" (Aeby, De Pietro et Wirthner, 2000, p.199). Cette distinction permet ainsi de mieux comprendre les différentes facettes didactiques de ce domaine scolaire qu’est le vocabulaire et fournira une clé de lecture des articles de ce numéro.

Deux articles  principaux sont proposés au lecteur/à la lectrice ; celui de M. Philipp rend compte du versant traditionnel de l’enseignement du vocabulaire, et tente de faire le tour de la question sur la base de nombreuses études données en référence pour montrer les liens entre vocabulaire, socialisation à la lecture et compréhension de textes ; celui de Ch Ronveaux étudie, à partir des pratiques des enseignants/ enseignantes, quelles sont leurs conceptions de l’enseignement du vocabulaire. Ronveaux montre comment des enseignants de classes allant du début du primaire à la fin du secondaire I mènent des activités de vocabulaire en lecture, quelles sont les constantes et les variations qu’il est possible de relever dans les pratiques déclarées, et quel est le lien au texte à lire induit par ces pratiques.

Ensuite, quatre articles viennent compléter ces premiers textes. F. Grossmann présente des modèles de la compétence lexicale en lien avec la compréhension de l’écrit. E. Nonnon analyse comment il est possible de travailler la polysémie dans des activités transdisciplinaires, à la fin du primaire.
Kümmerling-Meibauer se penche sur les livres d’images pour très jeunes enfants (1 an environ) afin de rendre compte de leurs caractéristiques et de leurs enjeux cognitifs.
Enfin E. Apeltauer propose un programme d’acquisition de mots nouveaux pour des élèves allophones dont la première langue n’est pas l’allemand.

M. Philipp met en avant une définition du vocabulaire considéré comme un répertoire de mots que la personne a intégré (mémorisé) et dans lequel elle puise pour comprendre et produire des énoncés. S’appuyant sur de nombreux travaux et sur des données le plus souvent quantitatives, il se demande dès lors ce que doit être ce répertoire pour rendre possible au lecteur l’accès à des textes (oraux et écrits) divers, présents dans notre société. Il  montre que la bonne compréhension de textes est en relation avec un vocabulaire abondant et riche. De même, la lecture aurait un effet bénéfique sur l’acquisition du vocabulaire. Le modèle de la compréhension écrite qu’il présente fait dépendre cette dernière de déterminants familiaux et psychologiques parmi lesquels la motivation et des capacités cognitives incluant le vocabulaire. Celui-ci est donc lié à la fois à l’histoire familiale et aux capacités que l’enfant développe dans son milieu. Philipp tente alors de mettre en évidence plus précisément les facteurs favorisant l’apprentissage de mots nouveaux par l’enfant. Si la famille est le premier lieu de l’acquisition des mots pour les enfants, l’école prend ensuite le relais et assure désormais cet apprentissage. Qu’en est-il quand ces derniers n’ont pas bénéficié d’un apport « suffisant » de leur milieu familial ? Selon Philipp, il s’agit alors de leur proposer un travail pédagogique spécifique et motivant susceptible d’augmenter leur capital-mots. Il termine son article en faisant des propositions dans ce sens.

Ch. Ronveaux s’inscrit dans une logique différente ; il s’agit pour lui de comprendre, à travers les pratiques en lecture d’enseignants de l’école obligatoire, comment ces derniers y intègrent le travail sur le lexique pour favoriser la compréhension de textes par leurs élèves. Pour ce faire, il s’appuie sur des données recueillies auprès d’enseignants genevois du primaire et du secondaire (supports d’enseignement et entretiens) rendant compte de leurs pratiques en enseignement de la lecture. Il répertorie, à l’intérieur des documents collectés, les occurrences des termes « mot », « phrase » et « texte », et analyse à partir de ces occurrences, plus spécificquement le traitement lexical que font les enseignants du mot pour travailler la compréhension en lecture. Il met en évidence les variations qui apparaissent au fil des degrés de la scolarité obligatoire. Ainsi, jusqu’en 4e, comprendre le texte c’est en comprendre les unités qui le composent ; la recherche du sens de mots isolés est une activité courante permettant avant tout de comprendre les phrases du texte. Après la 4e, la phrase n’est plus l’unité de travail ; celle-ci s’étend à des univers référentiels plus larges. On pourrait dire qu’il y a finalement une progression dans la compréhension du texte, allant du sens d’unités isolées à des unités toujours plus étendues tels le segment de texte, jusqu’au contexte, à l’intertexte pour saisir essentiellement sa portée thématique (historique, encyclopédique, etc.) du texte. Dans cette perspective, le texte est vu comme un support matériel porteur d’une unité thématique. Ronveaux relève toutefois quelques exceptions à ce constat général. D’une part, le texte est considéré sous l’angle discursif lorsque sa forme – généralement un récit – exige du lecteur de construire un point de vue énonciatif (ironie, implicite,...) en s’appuyant sur des indices langagiers. D’autre part, il l’est également lors d’un travail de compréhension de texte mis au service de la production ; dans ce cas, le texte est perçu selon ses caractéristiques discursives que les élèves doivent s’approprier pour ensuite les transposer dans leur production. Ces exceptions s’observent dans des classes de tous degrés.

Le propos de F. Grossmann ouvre un débat contradictoire avec celui de M. Philipp ; en effet, pour Grossmann, un vocabulaire mémorisé et abondant ne suffit pas pour assurer une bonne compréhension de l’écrit. Il faut encore que le lecteur/la lectrice dispose d’une véritable compétence lexicale. Pour étayer cette affirmation, il propose en un premier temps la définition de plusieurs modèles du sens, leurs apports et leurs limites. Le lecteur/la lectrice est vu ici comme interprète, constructeur du sens du texte à lire ; il/elle s’appuie à la fois sur ses connaissances lexicales et sur ses représentations du monde pour comprendre le texte. En fonction des trois modèles définis, « il [le lecteur/la lectrice] est en mesure d’opérer des calculs, à partir d’une schématisation issue des informations sémantiques fournies par le lexique en contexte ; mais il sait aussi mobiliser les stéréotypes associés aux mots pour accéder à des représentations ». Pour y parvenir, quelles sont les capacités mises en oeuvre ? des capacités langagières, permettant à la personne de saisir la dimension intersubjective du sens lexical ; des capacités de mémoire et de combinatoire lui permettant par exemple d’utiliser le système morphologique de la langue pour produire ou interpréter un mot ; des capacités lui permettant d’intégrer la dimension argumentative du lexique à travers les stéréotypes véhiculés. Grossmann souligne que le lecteur doit être capable de passer d’une lecture visuelle à une lecture abstraite comme le réclament certains genres de textes (son article par exemple !).

Nonnon, quant à elle, aborde l’intéressante question de la polysémie dans une perspective transdisciplinaire. Qu’en est-il des propositions d’activités faites dans les manuels actuels ? En quoi le travail engagé permet-il d’une part d’améliorer la compréhension et la production des textes chez les élèves, d’autre part d’enrichir leur connaissance du fonctionnement de la langue ? Les recommandations des nouveaux programmes français vont dans le sens d’une structuration du lexique et d’une réflexion sur le fonctionnement de ce dernier de la part des élèves. Il s’agirait donc de sortir d’un enseignement des phénomènes de polysémie réalisé à l’échelle du mot, selon le modèle du dictionnaire : chercher les différents sens d’un même mot dans le dictionnaire. Il s’agirait de laisser de côté le travail sur des listes de mots.
A travers des exemples, Nonnon montre la complexité d’un travail transdisciplinaire sur la polysémie. En effet, il ne suffit pas de pointer les différentes acceptions d’un mot selon le domaine disciplinaire pour en comprendre les usages. Par exemple, selon la place du mot dans le discours, dans la phrase, le mot peut changer de sens : il ne s’agit pas de reconnaitre un nouveau sens par rapport à un autre selon les contextes disciplinaires, mais bien de procéder à une construction conceptuelles selon les contextes pragmatique (c’est-à-dire l’environnement, l’entourage non linguistique), ou linguistique (c’est-à-dire le syntagme, l’énoncé, le texte). C’est donc un travail à différents niveaux qu’il serait intéressant d’entreprendre, en compréhension comme en production. Or aujourd’hui, les manuels n’offrent pas encore tous les outils nécessaires pour entreprendre des activités réflexives fines portant sur l’appréhension des multiples usages d’un mot.

La démarche de B. Kümmerling-Meibauer repose sur une analyse approfondie, historique, descriptive et cognitive, des livres d’images pour très jeunes enfants (dès un an). On touche là à une littératie de l’image, médiatisée par l’adulte, antérieure à une approche de l’écrit, ces livres d’images ne comportant généralement aucun texte. Ceux-ci existent depuis plus de cent ans dans toute la société occidentale et connaissent toujours du succès auprès des très jeunes enfants et de leurs parents. Ils sont considérés comme utiles à l’acquisition à la fois de l’image, du langage, et, aussi de la littératie. En effet, l’enfant doit apprendre à distinguer la figure représentée en deux dimensions, les signes graphiques utilisés, ce que signifie cette figure ; il doit en outre associer un mot à l’objet vu, et d’autres encore reliés à celui-ci, pour construire un « concept » de cet objet (une pomme se mange, est un fruit rond, qui peut avoir plusieurs couleurs et est issu d’un arbre, etc.) ; dans l’interaction avec un enfant plus âgé ou avec un adulte, l’image, ou plutôt la suite des images, peut donner lieu à une histoire. L’enfant prend conscience qu’il y a un début et une fin au livre, un ordre de « lecture » et des liens (souvent thématiques) entre les images ; il fait ses premiers pas dans la compréhension de l’écrit. D’autres livres viendront ensuite compléter ces premières découvertes: livres à colorier, dictionnaires en images, abécédaires...

Le texte de E. Apeltauer est quelque peu différent des précédents, dans la mesure où, plus pratique que théorique, il tend avant tout à donner des pistes pour développer l’acquisition par des enfants allophones d’un vocabulaire nouveau dans la langue de scolarisation (en l’occurrence l’allemand). Il se centre sur l’acquisition de mots, voyant, à l’instar de Philipp, le vocabulaire comme essentiellement un riche répertoire de mots. Il propose trois phases pour l’acquisition du vocabulaire, tenant compte de l’accentuation et de la prononciation des mots, de leur signification et des limites de celle-ci, et du contexte dans lequel ces mots sont utilisés.

Ces articles illustrent la complexité des liens entre vocabulaire, compétences lexicales et compréhension textuelle. Les auteurs ne s’accordent pas sur comment l’enfant apprend à donner du sens à ce qu’il lit. Certains se focalisent sur une approche qui met l’accent sur la compréhension de texte liée surtout à l’acquisition d’un capital-mots, des unités composant le texte, selon une conception de la langue vue surtout comme une représentation du monde et des idées, avec le risque de laisser dans l’ombre la part structurelle et énonciative du texte lui-même pour accéder au sens ; d’autres défendent une approche plus communicative de la langue, qui voit la compréhension de texte en terme d’interprétation, réclamant la construction d’une véritable compétence lexicale. Les pratiques scolaires oscillent entre ces approches. Des propositions didactiques sont encore à élaborer pour donner aux élèves de vrais outils de construction de sens des textes.

Réferences bibliographiques:
Aeby, S., de Pietro, J.-F. & Wirthner, M. (2000). Français 2000. Dossier préparatoire. L’enseignement du français en Suisse romande : un état des lieux et des questions. Neuchâtel : IRDP.
Consortium scientifique Langue de scolarisation. (2010). Langue de scolarisation. Rapport scientifique de synthèse et modèle de compétences. Site HarmoS de la CDIP.

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